COUP DE FOUDRE

COUP DE FOUDRE

C’est l’histoire classique d’un coup de foudre. Deux êtres se rencontrent. Et soudain tout s’éclaire, comme si un rideau, dont ils ne soupçonnaient aucunement l’existence, avait été brusquement levé.

Un flot de teintes chamarrées inonde leur réalité. Ils déambulent dans les parcs sous le ruissellement d’une pluie battante, extasiés, sans chercher à s’abriter, s’étonnant des reflets sur les feuilles des arbres, des couleurs plus vives et plus luisantes. Ils s’émerveillent devant le vert tendre de petites pousses qu’ils n’avaient pas même remarquées la veille. Dans les rues de la ville, les façades des maisons sont plus colorées que dans leurs souvenirs. Ils expérimentent une sorte de perception accrue, un satori. La beauté est dans l’œil de celui ou celle qui regarde, suggère le proverbe anglais : « Beauty is in the eye of the beholder ». Ce n’est pas seulement de l’autre qu’ils sont amoureux, mais de la terre entière : l’autre leur offre le monde en cet instant.

Ils s’enthousiasment à l’avance de la vie libre qu’ils vont mener maintenant qu’ils sont deux, maintenant qu’ils peuvent enfin fuir la médiocrité de leur ancienne existence, laisser loin derrière eux ce rétrécissement, cette petitesse, ce manque d’amour chronique. Dès qu’ils ont l’occasion de s’éclipser, ils parcourent les chemins côtiers, se perdent au sommet des falaises dans la contemplation des plages de sable en contrebas. Ils se souviennent de l’inspiration qu’ils trouvaient, enfants, dans l’écume blanche qui s’écrase en bas contre les récifs noirs, comme la force de ces rochers solides, solidaires, les galvanisait. Quand leurs regards se tournent vers les flancs pelés de la côte sauvage, ils admirent ensemble toutes ces petites fleurs maritimes lovées dans le tapis de mousse tendre. Il y en a des milliers, délicates et fragiles, d’un rose nacré. Elles sont comme de minuscules étoiles tombées du ciel, chacune d’elles un univers offert dans son entièreté à leurs yeux éblouis.

Hélas, voici qu’ils délaissent déjà ce cadeau somptueux. Ils replient les ailes qu’ils avaient déployées, lorsqu’ils imitaient à leur manière les oiseaux planant superbement au-dessus de leur tête ; leur vision se rétrécit ; leurs horizons se referment. Ils oublient de se réjouir de la diversité des tons du nuancier céleste. Ils recommencent à confondre la routine de leur quotidien, qu’ils ont construite à leur insu, avec le destin. Ils disent : « La vie, c’est difficile ».

Parfois, pourtant, la lecture d’un roman se fait le rappel subreptice des instants enchanteurs. Ils revivent alors l’éphémère d’un battement de cœur accéléré, de papillons dans le ventre – toute cette aventure intérieure qui les a poussés un jour à enlever leurs lunettes de grisaille et à voir le monde, non pas plus beau qu’il n’est, mais au contraire dans sa vraie splendeur. La littérature, comme l’amour, a les couleurs de la transcendance – invocation en forme d’alléluia perpétuel et magnifique. La douleur s’estompe, le silence se fait plus dense. Du noir d’Ivoire de la nuit obscure de l’âme surgit un éclat de lumière jaune d’or, une boule de feu magique et solennelle qui dans sa sagesse n’enflamme rien sur son passage, sinon la passion de vivre…

6 comments found

  1. comme toujours super! J’aimerais moi aussi avoir un coup de foudre. A 70 ans encore possible???

  2. J’ai adoré écrire ce texte, suite à mon coup de foudre d’il y a 13 ans – qui continue!!! Pour répondre à ta question, oui, je suis convaincue qu’on peut avoir un coup de foudre à tout âge. Si tu en as envie, c’est (encore et toujours!) possible!

  3. Très belle photo de l’océan immortel. Je peux rester des heures à le contempler.
    Récit digne de la bretonne que tu es ma tendre amie.

  4. Moi aussi je peux rester des heures à le contempler. C’est ce sentiment que j’ai essayé de transmettre…

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