REBECCA de Daphné Du Maurier Explorations identitaires

 

 

Rebecca, de Daphne du Maurier, est un roman énigmatique et brillant – considérablement sous-estimé par la critique littéraire – dont la polysémie est reflétée dans la pluralité des lectures auxquelles il a donné lieu. Les instants de tension maximale, les hésitations et répétitions d’un récit faussement innocent, des personnages qui fonctionnent comme des projections de terreurs archaïques, un « je » troublé dont le patronyme demeure caché et le statut inchangé (« the paid companion to a petty tyrant » souligne Sally Beauman) sont autant d’éléments d’une stratégie d’écriture visant à mettre en scène la complexité d’un sujet qui se dérobe.

 

La révolte de Rebecca a été rapprochée de celle de Lilith, première femme d’Adam dans la littérature midrachique. Dotée d’une présence posthume aussi improbable qu’alarmante, Rebecca peut également être analysée comme figure de l’inconscient freudien, voire de l’ombre jungienne. Le roman lui-même est hanté par ses reprises textuelles, notamment de Barbe-Bleue et de Jane Eyre – lequel a été fréquemment perçu, à juste titre, comme son hypotexte principal. Mais le personnage éponyme du roman de Charlotte Brontë ne saurait être Bertha. Palimpseste réussi, Rebecca franchit une étape supplémentaire avec la prise en compte de l’irrationnel et du rôle de l’angoisse dans la formation du moi et opère ainsi un glissement du centre de gravité du sujet.

 

La narratrice, posant son époux en victime, voudrait légitimer le meurtre comme condition nécessaire d’accès au bonheur. Les affirmations de ce « je » flou et indécis, amoral dans sa quête éperdue de reconnaissance, sont contredites par l’enveloppe énonciative du roman – décelable notamment dans l’ironie dramatique d’une structure diégétique en boucle. Dès l’incipit, l’errance finale (« boredom is a pleasing antidote to fear ») et l’osmose amoureuse (« I suppose it is his dependence upon me that has made me bold at last ») sont annoncées en des termes qui dissipent toute illusion romantique, suggérant au contraire une régression vers une unité indifférenciée originelle.

2 comments found

  1. Thank you very much for this really nice feedback! + J’ai prévu d’en dire davantage sur Lilith et Rebecca très bientôt : keep posted!!!

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