DIRE LE GENRE – L’EPICENE

 

L’absence d’un dispositif linguistique en français permettant d’indiquer l’indifférencié pose toute une série de problèmes. La solution réside dans un dispositif épicène. Les substantifs dits « épicènes » ont une forme unique et peuvent fonctionner potentiellement au masculin ou au féminin dans le cadre du discours. La grammaire d’aujourd’hui nous en fournit une définition :

« Epicène : les noms (et pronoms) épicènes sont, dans la classe des animés, ceux qui, aptes à s’utiliser sans différence de forme aux deux genres, peuvent désigner des personnes des deux sexes : élève, enfant, sont des noms épicènes, je et tu des pronoms épicènes[1]. »

Il est à noter que le terme « épicène » apparaissait dans le Dictionnaire de linguistique des sciences et du langage[2], mais qu’il est absent du Nouveau dictionnaire[3]. Selon Michèle Le Dœuff, il est possible également d’employer le terme « épicène » « pour désigner des choses qui conviendraient également aux deux sexes : une « éducation épicène » serait celle qui servirait également les intérêts matériels et moraux des filles et des garçons[4] ».

La différence entre les deux langues est double à cet égard. D’une part, il y a très peu de noms épicènes en français, la liste pouvant être rédigée est extrêmement courte (un ou une élève, un ou une enfant), alors qu’au contraire, la plupart des noms sont épicènes en anglais. D’autre part, en français, un terme n’est épicène qu’au niveau de ce que Saussure appelle « la langue », mais au niveau du « discours », toujours dans la terminologie de Saussure, un choix doit être fait en français très rapidement. L’apparition du déterminant fait nécessairement basculer dans le genre masculin ou le genre féminin[5]. Or, on le sait, en anglais, les articles sont invariables, de même que les adjectifs, et l’on doit donc souvent attendre très longtemps une marque grammaticale nous permettant d’appréhender le genre de l’énonciateur ou du personnage, ce qui est le cas de la grande majorité des poèmes de Dickinson. Les noms appartenant à la classe des animés sont en anglais, à quelques rares exceptions près, « épicènes », c’est-à-dire qu’ils ont le potentiel d’être masculin ou féminin selon le fragment de discours dans lequel ils sont insérés. Le terme anglais writer, par exemple, est épicène, et occupe donc les trois positions : masculin, féminin et indifférencié. Quelques rares substantifs sont genrés : lioness, daughter, wife, murderess, etc., mais ce sont réellement des exceptions, alors qu’à l’inverse, les substantifs épicènes sont rares en français. Comme ni les articles, ni les adjectifs ne sont différenciés en genre en anglais, seul le pronom personnel de reprise révèle le genre du nom. Il est aisé de constater que pour ce qui est du français, cette définition ne fonctionne qu’au niveau de la langue. En effet, les phénomènes d’accord, portant sur les articles, les adjectifs, les pronoms, font que tel ou tel nom ou pronom épicène bascule très rapidement au niveau du discours dans un genre ou un autre. Les noms et pronoms épicènes cessent de l’être par la pression de l’accord en genre dès qu’il est question d’un individu en particulier. En anglais, au contraire, le concept d’épicène peut souvent rester fonctionnel même dans le système du discours. Il faut parfois attendre très longtemps dans un énoncé avant de pouvoir se prononcer sur le sexe de l’énonciateur ou de l’énonciatrice.

Article de Pascale Denance p.71.

 

[1] Arrivé Michel, GADET Françoise, GALMICHE Michel, La grammaire d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986.

[2] Dubois Jean, Giacomo Mathée, Guespin Louis, Marcellesi Jean-Baptiste, Mével Jean-Pierre, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994.

[3] Ducrot Oswald et Schaeffer Jean-Marie, op. cit.

[4] Le Dœuff Michèle, Le sexe du savoir, Paris, Aubier, 1988, note 14 de la première partie, p. 355.

[5] Nous ne nous étendrons pas inutilement sur l’exception de l’article déterminé lequel, dans sa forme contractée, devient invariable devant une voyelle.