CE QUI CESSE DE NE PAS S’ECRIRE (Sortir de l’emprise)

 

Laetitia marche sur le sentier côtier en érosion. Elle observe la mer sur les rochers – le brun, le gris et le noir – des gouttelettes blanches. Toute petite déjà, quand elle venait là, cela lui donnait des frissons. Elle était toujours seule, bien sûr. Elle rêvait de l’amant qu’elle aurait. Mon rêve, se dit-elle. Depuis toujours rencontrer le Prince charmant. J’étais si seule ! Je rêvais d’un être qui m’aime et que j’aime. Et il est dans ma vie. Le rêve est devenu réalité. Le jour où on s’est rencontrés tous les deux… Il m’a dit qu’il était un extraterrestre et je lui ai dit que moi aussi je venais d’une autre dimension. « Comme tout le monde ! », nous nous sommes exclamés ensemble, avant de nous esclaffer.

La mer a toujours été son réconfort. Mais la mer, c’est dangereux, aussi… Cette fois où j’ai failli me noyer… C’était juste avant de le rencontrer. J’étais dans un groupe, pourtant, mais personne n’a eu le temps de réagir… J’ai dû m’en sortir toute seule… Elle recommença à marcher sur le sentier. Elle ne voulait pas repenser à ça, à ce moment où elle avait failli se noyer – le manque d’air tout à coup, la panique… Elle se débattait, elle s’agitait…

Elle dirigea son regard plutôt vers la lande, la bruyère en fleur, la falaise à perte de vue – La terre et le ciel pour équilibrer l’océan. Elle se fit la réflexion que cela faisait un triangle, la terre, le ciel et l’océan. Cela la libérait tout à coup du système binaire pesant – le ciel et la terre, le haut et le bas, le père et la mère ! Elle pensa qu’elle en faisait trop, que cette nouvelle idée ne la mènerait nulle part : son examen de philo sur Etre et temps de Heidegger pour l’examen approchait, et les examinateurs ne se contenteraient pas d’une vague réflexion sur le système binaire terre-ciel. Elle sentit les embruns mouiller son visage, c’était délicieux et reposant. Elle s’assit sur un rocher. Il fallait arrêter de se prendre la tête inutilement: elle avait toujours des résultats brillants, sans aucun effort. Pourquoi paniquait-elle à ce point tout à coup ?

Une main sur son épaule – un souffle sur son cou. Un réconfort, un soulagement – un apaisement. C’est un souvenir, c’est sa présence qui se pose sur moi comme un souffle. Je ne suis plus seule, il est avec moi, même quand il n’est pas à mes côtés, même resté à l’hôtel, occupé à écrire l’article qu’il doit envoyer bientôt.

Elle arriva sur la plage. Il y en a, du monde, ce soir, se dit-elle. Ils ne sont pas encore partis, tous ces parents avec leurs mômes braillards ? Il est tard, pourtant. Le bruit de cette foule la dérangeait, l’agressait, même, après cet espace de solitude et de paix.

Elle chercha un coin de sable libre, à l’écart de la foule – posa son petit sac à dos, commença à se changer. En maillot de bain, elle sentit une petite brise légère effleurer sa peau. Elle courut vers la mer pour se réchauffer, anticipant la sensation de l’eau fraîche, sentant à l’avance les vaguelettes sur ses doigts de pied, se préparant à la rencontre – la rencontre entre une jeune femme et l’océan. Quand elle pénétra dans l’eau, elle se sentit devenir vague, devenir océan. L’océan lui-même la salua, vieil ami retrouvé chaque jour – et chaque jour différent. Elle plongea et le souvenir de la noyade à laquelle elle avait échappé de justesse se fondit en elle, s’estompa, regagna ses cellules, et elle était sirène, elle était atome – elle était tout, elle n’était plus – plus qu’une présence au monde…