L’EFFERVESCENCE

L’EFFERVESCENCE

Elle est comme sortie d’un tableau de Degas. Elle est souple, mince, semble jeune, elle doit avoir une vingtaine d’années. Je la vois devant moi, là, tout de suite : elle est sur la pointe d’un chausson de danse – les bras pliés, le corps bien droit, élégante, harmonieuse, heureuse. La danse, c’est toute sa vie. Elle a un amant, qu’elle ne souhaite pas garder. Un autre suivra. La file d’attente est longue. Ils sont tous à ses pieds – en attente d’elle. Elle n’attend rien d’eux. Rien n’existe à part la danse. Elle ne pense qu’à cela. Elle en rêve même la nuit parfois. Elle danse au saut du lit, s’habille en tourbillonnant. Parfois, elle pense au futur ; elle imagine un pan du futur, puis elle referme cette vision tout de suite – vite, vite…

Elle vit en mode monogramme. Depuis quelque temps, elle a trouvé un rôle dans un ballet moderne. Elle doit travailler dur, très dur, parce que c’est très différent de sa formation de danse classique. Alors elle s’accroche, elle tourne et vire et saute et danse – pieds nus. Elle a posé ses chaussons de danse au bas de son armoire. Ils la regardent souvent d’un air larmoyant. Elle se demande parfois si elle ne fait pas une erreur. Mais alors, vite, vite, elle reprend l’entraînement. Cette forme de corps instinctive, comme le répète l’instructrice, elle la cherche, elle la trouve parfois en un éclair. D’autres, qui n’ont jamais dansé, la trouvent d’instinct – justement ! Quelque chose s’apaise en elle quand elle les regarde.

Comment faut-il s’y prendre avec elle ? Moi, je fais partie de ceux et celles qui n’ont jamais fait de danse. Elle, la danseuse classique, elle m’intimide. Sa rapidité la fait tournoyer si vite qu’elle n’est plus qu’un blur, une tache floue… Et aussi elle m’étourdit : elle tourne si vite sur elle-même. Elle a tant d’énergie et tant de talent. Mais je vois bien que parfois, le soir…

Hier, après l’entraînement, je me suis assise sur le banc du vestiaire à côté d’elle. Et spontanément, elle m’a dit qu’elle se sentait fatiguée. Je lui ai dit que moi aussi. Elle a dit alors que parfois le soir, elle se sentait fatiguée – trop fatiguée, épuisée. Et puis elle m’a dit qu’elle avait peur de ne pas tenir le rythme pour ce ballet dans trois semaines : quel défi ! Elle a peur de ce nouveau style, même si cela l’attire beaucoup. J’ai juste hoché la tête. On a écouté le silence entre nous ; j’ai senti qu’elle s’apaisait et que moi, j’étais inspirée par elle – elle me communiquait son énergie.

Depuis, on avance ensemble ; je l’apaise et elle m’inspire. Et le spectacle – c’est sûr – va être super !