THE PORTRAIT OF A LADY – Henry James

Dialectique entre l’universel et le singulier

Comment se constitue dans un roman la chaîne de signifiants qui permet de procéder à une généralisation à partir du trajet apparemment singulier d’un personnage de roman? Comment une histoire fictive, n’étant donc celle de personne, peut-elle paradoxalement faire sens pour tout le monde ? The Portrait of a Lady de Henry James est l’étude d’une conscience. Isabel Archer, l’héroïne du roman, doit affronter l’ennui écrasant d’un quotidien vidé de sens. A la fin du roman, rien n’a changé dans sa situation, sinon la conscience qu’elle en a, processus évoquant ce que Ricœur appelle « la résolution d’une contradiction entre deux états d’un même être »[1]. Une situation fictive et singulière est proposée comme vecteur de réflexion plus générale sur la notion de choix. James explique dans la préface que le romancier doit « considérer l’expérience comme une toile d’araignée de la conscience », vision qui annonce certaines des dernières découvertes des neurosciences : « Le singulier de la conscience, processus temporellement unifié de notre psychisme, s’oppose [ainsi] au pluriel de nos inconscients évanescents, multiples et foisonnants »[2].

Une remarque-clef que fait avec humour l’un des personnages à propos de l’héroïne met au jour la dialectique entre l’universel et le singulier à l’œuvre dans ce roman : « It’s her general air of being some one in particular that strikes me ». Les différents éléments stylistiques de cette phrase, le chiasme et l’antithèse (chacun des éléments des deux paires du chiasme est repris par son contraire, et non à l’identique, « general » s’opposant à « particular », et « air » à « being »), le choix de l’expression pronominale « some one » (laquelle apporte une coloration plus anonyme et plus floue qu’un substantif tel que « woman » ou « person »), et enfin l’emploi ludique de la formule oxymorique « some one in particular », balisent le trajet du général au particulier effectué dans et par la phrase.

Le fréquent recours au discours indirect libre, souvent combiné avec l’utilisation du pronom impersonnel « one », permet de conférer aux pensées du personnage principal une apparence. The Portrait of a Lady met remarquablement en œuvre la capacité que présente le texte littéraire, selon Didier Anzieu, de « récapituler […] mon histoire en tant qu’elle est à la fois singulière et l’histoire de tout homme »[3].

[1] Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance : Trois études, Paris, Editions Stock, 2004, p. 102.

[2] Lionel Naccache, Le nouvel inconscient : Freud, Christophe Colomb des neurosciences, Odile jacob, 2006,

  1. 364.

[3] Didier Anzieu, Le corps de l’œuvre, Paris, Gallimard, 1981, p. 140.