BLUE BIKE REVISITED : 1ère PARTIE
Natacha s’était dirigée vers un quartier que je ne connaissais pas et s’était arrêtée devant une porte grise portant l’indication « Sonnez et entrez ». Elle avait tardé à lever sa main vers la sonnette, mais avait fini par s’exécuter. Elle pénétra dans un long couloir sombre, au bout duquel se trouvait une porte grande ouverte : quand elle en franchit le seuil, je vis qu’il n’y avait personne dans la pièce. Enfin, pas tout à fait personne… Installé sur le grand bureau blanc au centre, un gros chat tigré la regardait arriver d’un air affable. Tout, dans sa posture, inspirait la décontraction. Elle s’approcha de lui, lui fit des petites caresses ; il ronronna, elle lui dit le genre de bêtises que les humains disent dans ces cas-là : « Oh, c’était un beau chat, cha, un gentil chachat… » Au bout d’un moment, elle s’assit dans un grand fauteuil de cuir brun qui semblait être prévu pour cet usage. Le chat sauta sur ses genoux et tous deux continuèrent leur échange dans un confort accru…
Je vis une jeune femme entrer et refermer doucement la porte derrière elle. Le son, pourtant ténu, fit néanmoins sursauter Natacha : elle avait visiblement complètement oublié où elle était et pourquoi elle y était.
– Ah, je vois que vous avez commencé à faire connaissance avec mon assistant, dit la femme.
Et, devant l’air ahuri de Natacha :
– Oui, cela permet de relaxer les clients.
« D’ailleurs », reprit-elle en s’adressant au chat, « c’est l’heure de ta pause ». Le matou franchit d’un bond la distance qui le séparait de la porte-fenêtre donnant dans le jardin et sortit par la petite ouverture aménagée à son intention. La femme s’assit derrière le bureau et sourit sereinement à Natacha, sans se laisser aucunement troubler par l’air éberlué de cette dernière :
– Bon, alors, quel est votre rêve ?
– Publier mon roman. J’y travaille depuis des années. Il est presque fini.
– D’accord. Qu’est-ce qui bloque ?
– Ma plus proche amie a eu un accident récemment. De fait, elle vient d’apprendre qu’elle n’aurait aucune séquelle. Mais j’ai eu très peur pour elle et cela m’a beaucoup secouée. J’ai commencé à remettre plein de choses en question, à me dire que je n’arriverais jamais à publier et que j’avais raté ma vie.
– Je comprends. Vous n’avez pas à ce jour réalisé votre rêve d’enfant et vous venez me voir parce que vous êtes persuadée qu’il est trop tard. Alors qu’avant, il était trop tôt.
Natacha en bégaye :
– Oui, c’est-c’est ça. Mais co-comment vous…
– Peu importe comment je le sais. Pouvez-vous me raconter votre rêve en détail, tel qu’il se présentait à vous quand vous étiez enfant…
Natacha sortit l’air songeur. Le jardin était pris dans une tempête spectaculaire de fleurs de cerisiers. De chaque arbre s’échappaient des nuées de corolles blanches, que le vent soufflait dans toutes les directions comme autant de flocons de neige. Je crus voir, paissant paisiblement l’herbe dense au bout de la pelouse, la pluie de pétales s’accrochant comme du givre à sa fourrure immaculée… une licorne.