BLUE BIKE REVISITED : 3ème PARTIE

 

Quelques jours plus tard, Yodi montre à Natacha le tableau qu’il vient de peindre : une clairière dans la forêt au clair de lune – tellement intense qu’il semble s’en dégager une senteur de mousse et de bois humides, de feuilles naissantes et de jeunes fougères. Un immense chêne étend au loin ses branches d’argent. Un centaure et une licorne se tiennent là, côte à côte. La puissance de l’un contraste avec la délicatesse aérienne de l’autre, sa tête gracieuse, ses pattes fines, son pelage d’un blanc de neige. Au pied de l’arbre, du même vert profond que le tapis de mousse – avec le nom de Natacha inscrit sur la couverture – repose un livre. La licorne est arrêtée dans son mouvement sur la dernière lettre du titre qu’elle vient de tracer de la pointe de sa corne, en lettres d’or qui brillent sur les nuances sombres du velours : Alice au pays de l’ennui.

– C’est magnifique, dit Natacha, après avoir longuement contemplé le tableau avec une admiration sincère. Mais, heu, ce titre, pourquoi ?

– C’est évident, non ? Alice s’ennuie tellement avec les humains qu’elle est obligée de se mettre en couple avec un extraterrestre ! Comme toi, quoi, ajoute-t-il avec un sourire malicieux.

 

« C’est vrai qu’il est pour moi comme un ange tombé du ciel », pense Natacha, qui se garde bien de faire part de ses réflexions à son compagnon. « Je lis des siècles d’expérience dans la transparence de ses yeux clairs – la sagesse infinie du Bouddha dans l’innocence du regard du nouveau-né… »

– Et si mon roman n’était pas à la hauteur ? s’écrie-t-elle soudain. Et s’il était bon mais ne trouvait quand même pas d’éditeur ? Et s’il était publié mais que le public ne l’appréciait pas ?

– Et s’il était bon et qu’il était quand même accepté par un éditeur ? » répond Yodi du tac au tac, ce qui les fait éclater de rire tous les deux.