Du moment que ça ne m’empêche pas de courir…

Du moment que ça ne m’empêche pas de courir…

Lors d’un stage sans aucun rapport avec les problèmes de latéralisation, l’animatrice me signale que je suis probablement gauchère de naissance (ce qui est confirmé quelque temps plus tard par une psychomotricienne : tous mes mouvements innés sont à gauche, tous les mouvements acquis sont à droite). Je n’avais jamais eu aucune suspicion de cela. Aucune, jamais !

Je suis effondrée. Je n’ai aucun souvenir d’avoir été gauchère contrariée. J’ai 59 ans et j’ai vécu toute ma vie en droitière. L’une des participantes me dit : « Tu as eu de la chance. Moi, on m’attachait le bras gauche derrière le dos à l’école ». De la chance, d’être passée toute ma vie à côté de moi-même ? Je connais des gauchers contrariés. Mais justement, eux, ils savent qu’ils ont été contrariés ! Dans mon cas, tout s’est passé à mon insu.

Flashback sur certains moments de ma vie… Au lycée, mes difficultés en cours de gym. Il n’y a qu’en course que je me débrouille : par les jambes, je m’échappe d’un malaise omniprésent dans tous mes mouvements, dans toutes mes actions. Des photos de moi jeune adulte –  toujours dans une position étrange, dans laquelle on sent un mal-être, comme si mon corps ne savait pas comment se mettre ; puis, plus tard, découverte d’un lipome dans mon bras droit et une opération catastrophique, qui se contente d’ajouter une énorme cicatrice à une grosseur toujours aussi invalidante…

Il me revient aussi toutes les fois où l’on m’a fait comprendre que je n’étais qu’une intellectuelle, que je n’étais vraiment, vraiment pas une manuelle. Et tout à coup je me dis que si j’ai pu mener toute une vie à l’envers de moi-même, en m’adaptant, sans même le savoir, aux exigences d’une société résolument à droite, je devais au contraire être très douée manuellement !

Je découvre une citation de Jean-Paul Dubois, dans son livre Éloge du gaucher : « Il existe une psychologie particulière au gaucher contrarié. […] Cela tient à la fois du vertige et de l’exil.» Effectivement, je me suis sentie en exil toute ma vie. Les explications à cela ne manquaient pas. Voici qu’est révélée une cause insoupçonnée…

Je tente une recherche sur internet, que j’intitule : « Quand on découvre qu’on est gauchère tard dans sa vie ». Aucune réponse avec le mot « gauchère » ; le système me rappelle à l’ordre : « Vouliez-vous dire “quand on découvre qu’on est gaucher”? »…

Je médite sur le problème…

Un autre des livres de Jean-Paul Dubois a obtenu le prix Goncourt 2019 : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Certes ! D’autant plus que la moitié de ces hommes se trouvent être des femmes…

Sur le modèle de la remarque féministe en vogue dans les années 70, « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ! », je dirais qu’il y a un être qui est plus en exil qu’un gaucher. Une gauchère…

4 comments found

  1. Bonjour, j’aime l’idée de faire vivre un continent qu’on vient de découvrir ! Une latéralité à investir, désormais… apprivoiser. À croiser avec être femme ! Mon Dieu, comme nos identités se croisent et s’entrecroisent ! Merci pour cet article !

  2. Merci pour cet encouragement. J’avoue que je voyais plutôt la difficulté de l’entreprise… Mais effectivement, l’idée d’investir et d’apprivoiser une part de moi récemment découverte me permet de le voir sous un angle plus favorable.

  3. Merci. Ces qualités sont très précieuses pour moi. Je suis enchantée qu’elles puissent apparaître dans mes textes.

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