UN RAPPEL SUBREPTICE (Coup de foudre)

 

Soudain tout s’éclaire, comme si un rideau avait été brusquement levé. Un flot de sensations chamarrées inonde leur réalité. Ils sont sortis du long tunnel de leur vie d’avant. Ils peuvent enfin fuir l’étroitesse de leur passé – maintenant qu’ils sont deux. Ils déambulent extasiés sous le ruissellement d’une pluie battante, sans chercher à s’abriter. Ils hument les senteurs de terre humide, s’étonnent du vert tendre des nouvelles pousses, des reflets sur les feuilles des arbres. Tout est plus lumineux dans la ville – les façades des maisons, les pavés des venelles, les sourires des passants… Ce n’est pas seulement de l’autre qu’ils sont amoureux, mais de la terre entière : l’autre leur offre le monde en cet instant.

Dès qu’ils ont l’occasion de s’éclipser, ils cheminent sur les sentiers de la côte sauvage, attentifs, du sommet des falaises, à ces rochers solides en contrebas et au fracas des vagues, porteuses d’écume blanche, qui s’écrasent contre les récifs noirs. Ils admirent ensemble l’éclosion de milliers de minuscules étoiles d’un rose nacré, lovées dans leur tapis de mousse, délicates et fragiles – chacune d’elles un univers offert à leurs yeux éblouis.

Mais voici qu’ils replient – déjà – les ailes qu’ils avaient déployées. Leurs horizons se referment. Ils se plaisent à reprendre leur ancien refrain, « la vie, c’est difficile ». Ils recommencent à confondre la fabrique de leur quotidien avec le destin.

Parfois, pourtant, ils revivent l’éphémère – un battement de cœur accéléré, des papillons dans le ventre – toute cette aventure intérieure qui les a poussés un jour à enlever leurs lunettes de grisaille, à entrevoir la splendeur hors de leur bulle : la lecture d’un roman se fait le rappel subreptice des instants enchanteurs.

La littérature, comme l’amour, nous révèle les couleurs de la transcendance, la musique des mots – invocation en forme d’alléluia perpétuel et magnifique. La douleur s’estompe, le silence se fait plus dense. Du noir d’ivoire de la nuit obscure de l’âme surgit un éclat de lumière jaune d’or, une boule de feu magique et solennelle qui dans sa sagesse n’enflamme rien sur son passage, sinon la passion de vivre…